Il n'y plus de médecin au numéro que vous avez demandé
Il n'y a plus de médecin au numéro que vous avez demandé
Treize entretiens recueillis et présentés par Jean-Louis Naurouze
Filipacchi Éditeur, mai 1996
La France est un pays où il est malvenu de mettre en question la carrière d'un individu en fonction de ses résultats. "On entre à Polytechnique à dix-huit ans et on en sort toute la vie." Cette sentence n'est pas caricaturale, elle est l'image de la réalité.
Quand j'ai visité pour la première fois des hôpitaux américains, mon étonnement fut grand de ne me voir point questionné sur des titres et fonctions hospitalo-universitaires, mais sur ce que je pensais de tel cas ou de tel traitement. Un très cordial confrère d'origine italienne qui avait appris chez des Jésuites grenoblois un parfait maniement du subjonctif, me donna la clef de cette attitude : "Que mes patrons me fissent d'emblée confiance me surprit et je les pris pour des naïfs. Mais qu'ils critiquassent durement ma première erreur m'incita à éviter d'en commettre d'autres. Ici, on te donne une chance, ta chance, mais rarement deux."
Dans notre pays, La Fontaine reste actuel : "Selon que vous serez puissant ou misérable...", vous aurez mille chances ou aucune.
J'y ai souvent réfléchi. Je suis arrivé à la conclusion qu'il était impossible de changer brutalement les choses. Nous sommes non seulement dans un État de droit, mais dans un État de "droit acquis". Le mieux défendu de tous est celui de la protection des carrières. Vous avez été nommé maître de conférences-agrégé, vous voici fonctionnaire de l'État. Vous avez été nommé Médecin des hôpitaux (pardon ! Praticien hospitalier) vous voici agent d'une collectivité locale. Laissez faire le temps ! Si vous évitez de lourdes fautes, telles que sodomiser publiquement le recteur de l'Université ou violer, lors de sa prochaine visite, la sous-secrétaire d'État à la Santé publique, vous n'avez aucun souci à vous faire. Vous finirez votre carrière au plus haut échelon, même si votre maladie d'Alzheimer vous vaut, de temps à autre, d'oublier d'aller faire votre cours.
Voici un témoignage original, spontané et insolite sur la remise en cause des médecins et leurs prescriptions, du Docteur XY, connu dans le domaine médical pour ses publications scientifiques et ses travaux de recherche.
Ce document se veut aussi le reflet d'une nouvelle éthique du milieu médical.
Le Docteur XY, soixante-neuf ans, a commencé ses études de médecine en 1944. Il a plus de quarante années de pratique libérale, hospitalière et universitaire.
Jean-Louis Naurouze, trente-cinq ans, est ethnologue.